Présentation
A nouveau seul en scène pour son nouveau spectacle 'Le dernier chameau', Fellag nous raconte ses souvenirs de jeunesse à Tizi, qui se partageait entre la salle populaire Le Cinémonde où le moindre baiser sur l'écran provoquait un tapage indescriptible et celle du ciné-club 'Le Régent' où les films 'd' art et essai' ne faisaient pas toujours recette. Mais à la sortie des salles, le cinéma, à Tizi, se faisait surtout dans la rue. Fellag narre les petites histoires du peuple algérien avec ses habitudes, son rapport à la France. L'artiste s'est exilé de son pays pour se protéger des fanatismes. Il continue son combat sur scène avec courage et tendresse.
La critique [evene]
par Benjamin Le Grall
Fellag conte son enfance dans l'Algérie des années 50-60, déchirée par la guerre civile, tiraillée entre modernité et tradition, entre espoir et désenchantement. Il fréquente les vétustes salles de cinéma, échappatoire de la misère, porte d'un imaginaire où il peut s'identifier aux héros hollywoodiens, partager la réplique avec de belles actrices qu'il rêve de tenir dans ses bras. Fellag dépeint tendrement les rues et les moeurs de Tizi Ouzou, puis retourne dans le village de son enfance, en prenant soin de soulever les contradictions de l'administration coloniale. La naïveté de l'enfance est son arme. Il ne s'apitoie pas sur le sort de son pays, lui le kabyle qui rêve de paix et de prospérité pour tous les enfants d'Algérie. Longue vie à toi Fellag.
Récits d'enfance tant nostalgiques que railleurs, les mots de Fellag se bousculent et emportent dans leur flot 1000 spectateurs de tout âge au coeur d'une histoire personnelle et collective. Algérie-France, Algérie algérienne, Algérie française, immigration algérienne en France, Français algériens en émigration... Sur ce fond historique brodé de rouge et de noir, d'amour et de haine, l'enfant algérien doit jongler entre sa culture d'origine et cette culture imposée par le colonialisme.
Le texte est assez fin pour se montrer critique vis à vis des deux parties, pour dénoncer par le rire l'absurdité de la situation, sans tomber dans la facilité. Fellag nous conte ses souvenirs de ses premières sorties au cinéma dans son village algérien, son admiration pour ces héros occidentaux, son désir naissant pour les actrices sublimes, l'ambiance bruyante des cinémas, les interruptions du film pour écouter le match de foot... Une succession d'anecdotes drôles et attendrissantes. Une Algérie maladroite et une France désobligeante, des petits qui jouent ensemble au cowboy et à l'indien, au policier et au voleur, est-il besoin de préciser qui joue qui ?
A grand renfort de détails, d'imitations des ambiances, le voyage imaginaire nous dessine ces scènes devant nos yeux. Pas de langue de bois chez Fellag : sexe, satires, jurons, sont les ingrédients d'une parole libre.
Le spectacle procède en saynètes courtes et incisives. Fellag est au départ conteur, il conte son vécu, ou celui de son personnage, sur un plateau vide, et une lumière plein feux blanche. Puis la salle se réchauffe petit à petit, Fellag mime divers personnages, les lumières singent les différents cadres qu'il évoque, le cinéma, la rue, le cirque... La musique traditionnelle algérienne vient donner vie au monde féminin, Fellag devient ces femmes, le public accompagne de leurs cris la danse de l'acteur. Car de conteur, Fellag devient acteur, d'une scène vierge, naissent de-ci de-là les symboles de l'Algérie de ce temps là. On se projette progressivement dans cette ambiance, l'humour monte au crescendo, le spectacle s'achève sur une musique festive très amplifiée. Fellag est acclamé par la salle. Un beau message de mise à distance de l'histoire avec un grand H par l'humour, un beau message de tendresse et de fraternité, une pièce accessible et pleine de ressorts. Le dernier chameau est le dernier chameau qui parle de son enfance, c'est son enfance qui s'efface devant les envies de l'adolescence.
Fellag tient une heure et demie seul sur scène avec son énergie et sa parole vive. Malgré quelques fautes de texte, son interprétation est plaisante. Certes, les premiers instants le montrent statique, mais aux vues des dernières minutes exaltées, il s'agit là d'un choix de mise en scène pertinent. Son personnage souriant et maladroit, son accent, son langage mêlant le français et l'arabe sont autant de qualités professionnelles et humaines, qui nous font ressentir combien le spectacle vivant avec cet échange de chair à chair, reste une expérience unique.
Né en 1950 en Kabylie, Mohand Saïd Fellag est comédien en Algérie dès 1973. Il travaille en France, au Canada, et aux Etats Unis. En 1987 il crée son 1er one man show « Les aventures de Tchop », il tourne également plusieurs films pour le cinéma et la télévision. Fellag crée plusieurs pièces de réflexion sur l'Algérie et son état de déchirement très diffusées dans son pays. Suite à l'ère de violence qui sévit en Algérie, Fellag arrive en France en 1995 et multiplie les créations. Il réunit succès auprès d'un public large et reconnaissance professionnelle.
« L'humour est un combat pacifique » Fellag
jusqu'au 10 novembre 2005 à la MC2 Maison de La Culture de Grenoble
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